Le message codé : quand le langage devient une barrière invisible

Comprendre les malentendus éducatifs pour mieux accompagner les enfants et les jeunes

Je me souviens d’une jeune stagiaire, une ATSEM qui croyait en son travail et pour qui la bienveillance n’était clairement pas une option.
Nous cherchions à comprendre l’agressivité de certains élèves et, entre deux sessions, chacun avait dû observer son terrain habituel. Elle décrivait le comportement d’un bambin de moyenne section qui était passé de l’obéissance calme et sereine à une posture totalement figée, soulignée par un regard noir et furieux.
Cela se passait sur plusieurs jours à la cantine. Pour favoriser l’autonomie, chaque enfant devait débarrasser son matériel. Celui dont nous parlons venait d’intégrer l’école en cours d’année et il ne parlait pas un mot de français. Il semblait assez renfermé, mais conciliant. Très professionnellement, elle avait accompagné ses premiers moments en lui donnant des explications verbales, ponctuées de signes :

—Tu vois, tu mets ici ta fourchette, ici ta cuillère, etc.

Le petit s’exécutait, mais au bout de peu de temps, il bloqua net lorsqu’elle lui enjoignit d’aller débarrasser ses couverts.
Sincèrement choquée de son attitude, elle ne voyait pas comment on pouvait passer en un clin d’œil de la douceur à la méchanceté.
Il avait probablement compris qu’on débarrassait chaque jour, mais il ne comprenait tout simplement pas le terme « couverts » ! Jusque-là, joignant l’acte à un flot de paroles, elle avait décomposé son message. Pensant qu’il avait intégré le concept, elle avait précocement généralisé et le geste et le vocabulaire. Pour lui, c’était trop à décoder. Plus il attendait de précision, plus elle le pressait, montant le ton sans le vouloir. Et elle déclenchait une paralysie totale.

Enseigner, c’est aussi expliquer le code

J’ai pensé à elle en lisant Qu’est-ce qu’apprendre ? – Éditions PUF 1980 – réédition de 2013. Page 155, Olivier Reboul se « rappelle un moniteur de ski de fond qui épiloguait longuement sur le mot suédois staknin, mais qui ordonnait de “rapprocher les spatules”, sans se rendre compte que plusieurs stagiaires ignoraient ce terme ».

À la maison, un enfant ou un adolescent a le temps d’observer et de comprendre, de répéter ses essais et ses erreurs, même si ses parents ne se montrent ni pédagogues, ni patients, ni même bienveillants, même si ses proches paraissent excédés par sa lenteur et son ignorance. Ce n’est pas toujours le cas à l’école ou dans la « vraie » vie.

« Tout enseignement doit être métalinguistique, c’est-à-dire expliquer sans cesse son propre code. En fait, cette tâche est double ; elle consiste, d’une part, à expliquer les termes techniques, d’autre part à s’assurer que les élèves comprennent bien les termes usuels. »

C’est le devoir de chaque professionnel en contact avec son public dans son domaine. Faute de quoi on observe des stratégies ancrées d’évitement, de repli, de rejet :  
Combien d’adultes refusent de prendre le bus parce qu’ils ne savent pas comment cela fonctionne et n’osent pas le demander ?
Combien de jeunes affirment qu’ils n’aiment pas les gens dans les transports en commun ?
Combien de personnes veulent un emploi dans leur quartier par peur de l’inconnu ? Combien de décrocheurs ont calé juste avant le jour du bac ? Parce qu’ils craignaient de ne pas trouver la salle ?

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